LA COHÉRENCE DES MONDES
La démarche artistique de Valérie Jessica est une traduction de ses perceptions face au monde fragmenté qui l’entoure. Vivant avec une différence neurologique, l’autisme, l’ensemble de son travail est teinté d’une aura particulière, atypique.
ANALYSE DES EXPRESSIONS
La photographie lui a tout d’abord servi d’outil d’interprétation et d’analyse des humains et de leurs émotions. Attentive à leurs micromouvements, elle attend le moment paroxysme, celui durant lequel l’être atteint son apogée dans son expression corporelle pour en capter l’intensité en une fraction de seconde, afin de pouvoir ensuite l’analyser, le décortiquer, le classer et l’associer à d’autres contextes similaires. Ce processus avait pour intention de graduellement mieux interpréter les expressions et effusions humaines tout en satisfaisant, chez elle, une puissante fascination curieuse de comprendre. Ce processus a permis la création de portraits d’une authenticité désarmante.
L’APPAREIL PHOTO COMME ARMURE DE PROTECTION
L’appareil créant une bulle-protectrice entre elle et le monde qu’elle percevait trop souvent comme étant désordonné et imprévisible, cela lui permit de naviguer avec plus de confiance sur des terrains que son autisme rendait auparavant trop effrayants pour être savourés. Lorsqu’elle était lourdement équipée, elle se retrouvait mieux protégée contre les intrusions physiques et de se réfugier derrière le viseur créait une bulle lui permettant d’atténuer les effets envahissants du grand nombre de stimuli externes.
INTÉGRER AUX ŒUVRES LES STÉRÉOTYPIES
Elle a pu découvrir qu’il lui était possible de se stimuler à l’aide de créations en cohérence avec son fonctionnement interne.
/// Alignements et couleurs euphorisantes
L’alignement étant pour elle un rituel-pouvoir la régulant, l’exaltation ressentie face à des suites d’objets, des motifs répétitifs et des schémas séquentiels pouvait désormais être générée de manière autonome par le biais de la créativité. Cette nouvelle accessibilité lui a ouvert l’esprit sur les possibilités qui s’offraient à elle au niveau du plaisir visuel. Sa sensibilité extrême face à certaines teintes, le fait qu’elles puissent lui chatouiller les dents ou la faire pleurer d’euphorie, cette réalité devint une nouvelle source à explorer.
/// Les dés
Élégamment équilibrés, rassurants avec leur poids réparti de manière absolument parfaite, dès les premières prises en main, ils l’ont fascinée. Des dégradés, des pétillants tous brillants, des éclats, des puretés sans faille, des vagues envoutantes, ils étaient tous uniques et incroyables. Sa collection multicolore contenant plus de 500 dés, elle y plongeait les mains avec cette impression de se laver dans une galaxie magique jusqu’à ce qu’elle saisisse qu’elle pouvait transformer cet intérêt spécifique (centre d’intérêt particulièrement intense chez une personne autiste), en œuvres d’art. Les dés ont donc été mis à l’avant-plan de manière structurée et artistique dans des contextes de pyramides, de séquences régulières, de symétrie et aussi de montages permettant de les agrandir pour les intégrer à des environnements fantaisistes.
COHÉRENCE ENTRE ART ET ÊTRE
Son traitement de l’information si particulier se présentait maintenant comme un moteur créatif et ses perceptions d’apparence étrange pour les neurotypiques teintaient ses œuvres pour les rendre uniques. Elle découvrit le plaisir du partage de sa passion comme étant un prolongement du plaisir créatif. Par le fait même, elle laissa toute la place à l’acceptation et à l’accueil de sa différence dans son expression artistique et dans sa vie.
PORTRAITS DE LA DIFFÉRENCE
Changer les regards une personne à la fois, lier les univers et nous donner accès à la différence, telle était l’intention de Valérie Jessica en réunissant des portraits d’enfants et d’adolescents autistes. C’est un pont vers son monde qu’elle nous a offert. Elle a misé sur le naturel des scènes et leur authenticité, elle a saisi ces instants précis, la montée d’une émotion et ce lien qui se crée. Ce sont des portraits tendres et doux, une fenêtre sur la neurodiversité. On sent, à travers ses œuvres, son cœur d’enfant et sa sensibilité colorée de cette teinte unique.
ART ABSTRAIT
La pensée d’une personne autiste se structure par images et son environnement est décodé tout d’abord de manière sensorielle. Ses sens fragmenteront chaque expérience en autant de ressentis. Contrairement à une personne dite neurotypique, la vue du détail prévaut sur la vue d’ensemble lorsque cette différence neurologique est présente. Sa vision fragmentée et ciblée rendue disponible à être exprimée et traduite à l’aide notamment d’une faible profondeur de champ, l’artiste pouvait désormais nous donner un accès privilégié à son monde, à sa vision et à l’interprétation particulière qu’elle en fait, principalement par le biais de la photo abstraite qui deviendra son vecteur de prédilection.
L’art abstrait se veut la traduction la plus représentative de son fonctionnement visuel, puisqu’elle s’efforce de nous présenter, avec le moins de traitement possible, ce qui l’a happée pour attirer son attention (flash de perception). En isolant les sujets de leur environnement, nous pouvons entrevoir de quelle manière elle traite les données indépendamment les unes des autres, comme si elle vivait dans un casse-tête aux pièces éparses, mais toutes plus magnifiques les unes que les autres.