Biographie de Lise des Greniers, M.A.
par Nicolas Faelli Ph.D. en histoire de l’art
Certains prétendent qu’un bon artiste doit avoir souffert. D’autres feront allusion au vécu, à l’expérience sans lesquels aucune création originale ne serait possible. D’autres encore, plus triviaux, avanceront une nécessité de se révéler, une sorte d’exhibitionnisme qui pousserait l’artiste à se dévoiler sans pudeur à un public d’inconnu. Et si un bon artiste devait être passé par ces trois composantes pour franchir le pas décisif et se lancer dans la création d’une toile ?
C’est à cette réflexion que je me livrais lors de ma première visite chez Lise des Greniers, dans sa maison de Brossard, alors qu’elle me révélait les détails de sa vie et de son parcours. Autour d’un bon repas, nous devisions d’une bouteille d’alcool artisanal suisse achetée, il y a un an, au cours d’un voyage de recherche en Europe sur l’art visuel sur « Influences du repli identitaire et la position d’ouverture sur les mouvements et les couleurs ». Il est inexact de dire que les voyages façonnent la jeunesse, puisqu’il n’y a pas d’âge pour voyager ni pour faire son expérience du monde et des choses en général. Mais jusqu’à quel niveau de vécu faut-il arriver pour se résigner, pour se sentir prêt à coucher sur toile ses pulsions les plus profondes ? Peut-être que les bons peintres sont ceux qui ont le plus voyagé, fût-ce intérieurement …
Je découvris au fur et à mesure de notre discussion une personnalité aux facettes complexes, toute dévouée à son art, mais aussi débordante d’énergie et d’une très grande volonté. Lise des Greniers peut se targuer d’un parcours atypique. Enfant adoptée à l’âge de trois mois, elle développa un intérêt précoce pour le ballet classique et la musique classique, elle fut bientôt frappée par une fascination pour la culture sous toutes ses formes. Après une maîtrise en sciences politiques à l’Université d’Ottawa (qu’elle fit en 10 mois) elle devint conseillère municipale de la ville de Granby. Grâce à son intéret pour patrimoine architectural elle réussi à mettre à l’abri des intempéries le sarcophage et le masque de la fontaine du masque grec. Par la suite, administratrice-dirigeante au conseil d’administration du Musée Canadien de la Nature à Ottawa. L’investissement au sein de la communauté fut toujours au centre de ses préoccupations. Ce parcours, où l’approche sociale fut aussi importante que l’humanisme le plus élémentaire, a poussé Lise à s’intéresser à l’Humain comme mécanique à appréhender. Cette dernière approche lui fit entamer des études de maîtrise en sciences religieuses à l’Université Laval et un cursus de 6 ans en psychanalyse clinique à l’École Freudienne du Québec rattachée au Gifric (Groupe interdisciplinaire freudien de recherche et d’intervention clinique et culturelle). C’est suite à cette formation, qu’elle a radicalement changer de courant artistique. Son talent ne lui suffit pas, elle veux connaitre l’art. Étudiante aux études supérieures à la faculté des arts de l’Université du Québec à Montréal en histoire de l’art, Tout en maintenant sa production artistique.
Parmi les rencontres que Lise fit au cours de ses diverses activités, peu furent aussi décisives que son apprentissage auprès de la peintre Ayfer Gursoz. C’est au cours des ses quatre années de formation avec elle que Lise développa la technique d’huile sur toile, à partir de laquelle elle évolua vers une oeuvre basée sur des collages pour atteindre les résultats que nous connaissons aujourd’hui. Comme toute bonne enseignante, Ayfer lui avait transmis la curiosité artistique et l’esprit de découverte, indispensables à l’élaboration d’un travail original. L’oeuvre de Lise évolua donc vers une oeuvre transcendantale, davantage inspirée des courants abstraits. À cet égard, l’oeuvre Lise des Greniers dénote une déchirure, une fracture, une lutte permanente entre le réel et le fantastique, entre le présent et l’avenir. « L’oeuvre que tu regardes est ce que je ne serai plus jamais », a-t-elle écrit un jour.
Au premier regard ses oeuvres sont une pure abstraction, mais un oeil averti décèle tour à tour le deuxième niveau de représentation, les détails du tableau permettant d’y déceler des figures riches en symbolisme. L’artiste fut toujours fascinée par le symbole, le signifiant et son allégorie. Férue de cartomancie, qu’elle pratique à ses heures perdues, iln’en demeure pas moins qu’elle est convaincue que chacun de nous sommes maitre de notre destiné dans la mesure ou le contexte culturelle nous permet de construire nos propre opportunités. Son oeuvre est parsemée d’indices à suivre pour comprendre sa pensée et les ramifications de son esprit créatif. Son Échec et mat, parsemée de pions d’échec comme perdus au sein de la toile à la recherche désespérée d’un quelconque roi ennemi, en est une illustration édifiante.
L’esprit de Lise, naturellement tournée vers l’apprentissage, lui fut indispensable dans l’accomplissement de ses missions successives. Il lui servit tout autant dans son approche artistique. Parmi ses domaines de prédilections que sont l’Histoire des religions et celle de la psychanalyse, la mythologie reste un important dominateur commun. Ce lien, qui remonte à Freud lui-même, la pousse à s’intéresser aux racines de l’Homme. L’oeuvre de Lise attire l’attention sur un héritage commun qui , de tout temps, a exercé une influence indirecte sur le public. Du Minotaure du mythe de Thésée jusqu’à son portrait d’aristocrate en passant par ses paysages de landes et de rivières, nous assistons à la mise à plat d’une abstraction en construction. À travers ses voyages et ses expériences successives, Lise peut se targuer d’un certain universalisme. Suite à la construction mentale du sujet de l’oeuvre, l’artiste donne une place à l’interprétation et au récit personnels et singulier du spectateur. La variété des matériaux utilisés pour ses oeuvres et l’irrégularité des traits laissent pourtant craindre un chaos et une perte de repères. Quid cet Océan infranchissable ou de cette cruelle Méduse, tous deux prêts à anéantir l’inconscient qui se risquerait à les défier ? De cet ce Bel l’oiseau sur l’épaule de l’homme qui marche rapidement ou de La jeune fille au bâton qui évoluent envers et contre tous, vers un avenir incertain ? Et enfin de ce Châtelain guindé et orgueilleux qui semble offrir un regard dédaigneux aux obstacles autrefois si terrifiants de la jeunesse ?
La fureur de vivre et la lutte acharnée pour l’accomplissement transparaissent de cette oeuvre. Qu’avons-nous à perdre ? La vie entière n’est-elle pas une lutte chaotique pour la survie ? À l’instar de ce que Thésée avait fait lors de sa lutte contre le Minotaure, l’artiste ne doit-il pas en permanence lutter pour exister ? La seule recherche de l’inspiration ou d’une oeuvre susceptible de le satisfaire n’est-elle pas pour l’artiste un combat de tous les instants ?
Bien que Lise se soit rapprochée de Montréal et de son bouillonnement culturel, sa démarche reste toujours marquée par l’authenticité de ce ce qu’elle est fondamentalement. Il est vrai que l’on n’échappe pas à son éducation. Même si elle s’en défend, l’artiste a conservé intérieurement un lien fort avec le terroir de son enfance. Attachement qui l’a poussée à s’investir jusqu’au conseil municipal pour développer le paysage culturel local. C’est aussi de cette ambition culturelle que naquit sa volonté créatrice. Il ne s’agit aucunement d’un art se revendiquant d’un quelconque grand maître à penser ou d’un courant connu. Pas question ici de pasticher tel ou tel artiste renommé. La création de Lise se caractérise (certains diront peut-être qu’elle pêche) par sa grande modestie, sans que cela ne s’apparente à de l’autosatisfaction abusive, l’artiste abhorrant trop la médiocrité pour ne pas approfondir ses expériences. La créativité ne doit donc pas être le monopole des grands centres urbains et l’artiste local doit avoir voix au chapitre. Envoler, avec son format atypique (15 cm x 122cm) donne un aperçu d’une recherche d’originalité. Ces dimensions témoignent d’une insatiable volonté de démarcation.
L’oeuvre de Lise n’est pas simplement une synthèse de ses différentes expériences ou de ses sensibilités philosophiques. Si elle est emprunte une symbolique évidente, elle reste avant tout une voie de libération de l’inconscient pour la création individuelle. À l’instar de Thésée suivant le fil d’Ariane, l’individu progresse au cours de processus artistique, abrupt et incertain. Un auteur comme André Malraux tissait d’étroits liens entre la culture et la psychologie humaine. Selon lui, la culture est une manifestation de la psychè d’une population, mais demeurerait un élément à conquérir à mesure que l’état d’esprit du spectateur change au fil des siècles. L’art lui-même comme manifestation culturelle n’échappe pas à la règle. Lise des Greniers semble avoir compris cette analogie, en mixant nos instincts primitifs à une oeuvre en constante évolution, dont l’apparence familière ne doit pas nous tromper. Si une oeuvre est effectivement un élément à reconquérir encore et encore, il est du devoir de l’artiste de nous laisser au moins une piste pour arriver à en venir à bout. Lise a recours à une symbolique subtile et à une allégorie personnelle, mais incontournable, et ainsi nous aider à y voir plus clair.