Retour sur le forum Mutek 2024 1/2 : Au-delà des Buzzwords : que fait l’IA générative aux pratiques créatives ?

Pour la deuxième année consécutive, le RAAV a assisté à des conférences lors du forum MUTEK, avec des sujets sur l’intelligence artificielle. La première d’entre elles était, "Au-delà des Buzzwords : que fait l’IA générative aux pratiques créatives ?

Lors de cette conférence, les panélistes présents étaient Yves Jacquier d’Ubisoft, Eric Desmarais de Sporobole, Pià Balthazar de la SAT, Sofian Haudry d’Hexagram, et Rose Landry de Mila – Institut québécois d’intelligence artificielle. L’article qui suit reflète leurs points de vue sur les sujets abordés.

L’intelligence artificielle générative, bien au-delà des buzzwords* qui l’entourent, transforme profondément les pratiques créatives. Ce changement n’est pas qu’une simple mode passagère mais un véritable bouleversement dans la façon dont les artistes, programmeurs et autres créateurs abordent leur travail.

*Un buzzword, ou mot à la mode, est un terme utilisé comme slogan pour désigner une nouveauté technique, commerciale ou conceptuelle et ainsi attirer l’attention sur celle-ci.

Comment faire en sorte que l’IA puisse servir les artistes plutôt que les contraindre ? 

L’IA generative, en automatisant certaines tâches créatives, permet d’explorer de nouvelles formes d’expressions. Des pratiques comme l’écriture automatique ou la génération d’images et de musique deviennent plus accessibles, même pour ceux qui n’ont pas les compétences techniques nécessaires.

  • La question de la valeur des oeuvres

Cette accessibilité soulève aussi de grandes questions sur la valeur et l’originalité des œuvres produites ainsi. En effet, l’utilisation d’outils génératifs, comme ceux basés sur le machine learning, met en lumière les tensions entre innovation technologique et préservation des métiers créatifs. Certains créateurs voient en ces technologies une opportunité de repousser les limites de leur art, tandis que d’autres craignent la banalisation des créations.

Une piste de réponse est que l’IA peut créer rapidement et facilement, la valeur ajoutée reste ce que l’artiste apporte à l’œuvre, la démarche créative et le contexte. Sofyan Haudry cite Margaret Bowden qui décrit la créativité comme de la production de nouveauté qui a de la valeur. Ainsi, l’IA est très efficace pour produire de la nouveauté, mais la question de la valeur reste un point essentiel de l’œuvre. Des questions philosophiques se posent, telles que celle de savoir si un système totalement désincarné, sans corps et détaché du monde, pourrait réellement comprendre la culture humaine. Par exemple, un musicien peut désormais générer des visuels sans faire appel à un graphiste, mais cette autonomie soulève la question de la qualité et de la profondeur des œuvres ainsi produites.

L’IA générative devient alors à la fois un outil d’émancipation et un vecteur d’angoisse pour les créateurs. Pourtant, la réelle disruption apportée par l’IA générative réside dans sa capacité à produire non seulement de la nouveauté, mais aussi à imiter des styles établis, rendant floues les frontières entre créativité humaine et automatique.

  • La question des artistes émergents et des créateurs juniors

Les panélistes, tous considérés comme séniors dans leurs domaines, affirment qu’une réflexion doit-être portée sur le transfert de connaissance envers les juniors et les étudiants. Une des pistes est d’utiliser l’IA comme un outil d’aide, ‘’ d’assistant personnel d’apprentissage’’. L’IA peut aussi permettre de revoir les méthodes d’enseignement, comme mettre l’accent sur l’œil critique et l’apport de valeur ajoutée à un projet.

  • La question des droits d’auteurs

Une des questions les plus récurrentes dans les interrogations des artistes est celle posée par les problématiques de droits d’auteurs. En effet, les intelligences artificielles génératives, pour la plupart, utilisent des données récupérées sur le web, sans traçabilité. Plusieurs axes de réflexions se distinguent. Certains pensent qu’il faut réfléchir à un nouveau modèle économique, en opposition avec ce que font les plateformes de streaming musicale, qui rémunère très peu les artistes pour l’utilisation de leurs œuvres. D’autres pensent que c’est le modèle même de copyright qui doit être revu, car dans les faits, très peu d’artistes vivent de leurs droits d’auteurs aujourd’hui.

Ce changement impose une réflexion profonde sur la manière dont les artistes peuvent s’approprier ces outils pour enrichir leur pratique sans pour autant sacrifier l’authenticité de leur démarche. Ainsi, l’avenir de la création artistique semble s’orienter vers une hybridation où humains et machines co-créent, redéfinissant en permanence les contours de la créativité.