Tant par ses œuvres littéraires qu’artistiques, Audrée Wilhelmy contribue à la réinvention d’un sacré féminin où l’endurance individuelle fait écho à la persistance collective des femmes. Elle investit la sororité, l’usure, la puissance, la douleur et la fureur tranquilles de générations de filles et de femmes afin de créer une mystique où les gestes créatifs deviennent rituels.
Par la transformation de matériaux qui appartiennent au patrimoine artisanal féminin — dentelles, fils, broderie et tissages collectés auprès de la communauté — l’artiste évoque la tension fragilité/résistance de ces matières qui ont survécu au temps. Une narration des enjeux liés à la féminité émerge ainsi de l’œuvre, hors des limites du texte, à travers les matériaux mêmes et l’histoire qu’ils portent. L’acte de création initie la rencontre et la reconnaissance de femmes de différents lieux/temps en dépit de leur distance ou de leur disparition.
La ritualisation de la démarche permet de confronter la douleur, de l’extraire du corps en la cristallisant dans les gestes qui mènent à l’œuvre. Par cette pratique, au sein de laquelle la réinvention d’un sacré hors religion joue un rôle prépondérant, l’œuvre devient un réceptacle où douceur et violence ne sont plus dichotomiques. L’artiste exhibe les cycles de prédation qui altèrent la liberté des femmes et des personnes marginalisées afin de les rompre et d’ouvrir une manière sororale d’être au monde, où la souffrance n’est pas occultée, mais où les femmes cessent d’être restreintes au rôle de proie. Elle replace l’artiste, la femme, au centre de ses propres prises de risque, totales et assumées.
La mystique personnelle présentée par l’artiste prend racine dans un dialogue avec la nature, et fait écho au cycle amoral de la vie et la mort tel qu’expérimenté par les bêtes. La présence d’ossements, de plumes et de plantes au sein des œuvres accentue la corrélation femme/nature et ramène le spectateur/lecteur à sa propre animalité. À travers ses livres d’artiste et ses installations, elle l’expose à des dédoublements, des accumulations qui le confrontent à sa place singulière dans des systèmes et des cycles qui le transcendent.
En s’interrogeant sur ce qui contient/contraint, ce qui, de fragile, résiste, en démultipliant le sens des œuvres par leur juxtaposition, Audrée Wilhelmy bâtit un monde hors temps, qui laisse toute la place au recueillement, au bouleversement.