Kittie Bruneau (née en 1929), une artiste-peintre hors norme, nous a quitté le  6 avril dernier. Après des études à l’École des beaux-arts de Montréal  (1946-1949), Kittie Bruneau passera huit années à Paris où elle se fera  remarquer dans une chorégraphie de Maurice Béjart (1927-2007) sur une  musique concrète, Symphonie pour un homme seul, composée par Pierre  Henry (1927-2017).

Durant son séjour européen, elle découvre les artistes et écrivains du  Groupe Cobra (COpenhague, BRuxelles, Amsterdam) dont Karel Appel  (1921-2006), Corneille (1922-2010) et Asger Jorn (1914-1973). Ces artistes  prennent pour modèle des formes d’art qui ne sont pas valorisées par l’élite  dominante du moment. La peinture des membres de Cobra marquera  définitivement l’œuvre de Kittie Bruneau.

Dès son retour au Québec en 1959, elle attire l’attention du célèbre critique  Rodolphe de Repentigny (1926-1959) qui souligne sa participation au  Concours artistique de la province du Québec avec deux tableaux « où des  formes vaguement illustratives sont traitées avec emportement » (La Presse, 13 mars 1959). Quelques mois plus tard, il remarque son « style précis, plein  d’éléments graphiques » lors de l’événement estival le Square des arts organisé au carré Dominion (La Presse, 4 juillet 1959).

À l’été 1961, elle s’installe sur l’île Bonaventure en face de Percé. À  l’époque, environ 160 personnes vivent sur l’île avant qu’elle ne soit  transformée en parc national et refuge faunique par le gouvernement du  Québec au début des années 1970.

Ce nouvel environnement marque rapidement les tableaux de Kittie  Bruneau qu’elle présente à Montréal dans les années 1960. Cette peinture  colorée, joyeuse, parfois grotesque, mais faussement naïve et empreinte de  poésie deviendra sa marque de commerce.

« Ma peinture se lit comme un journal », déclare-t-elle. En effet, ses  tableaux se regroupent autour de quelques thèmes récurrents comme son  île Bonaventure, la mer et les oiseaux, le couple, ses nombreux voyages,  un bestiaire débridé. À l’occasion d’une exposition en 1981, Kittie Bruneau  dira d’ailleurs : « La Gaspésie est bêtes, oiseaux, chats, rats, souris,  chevaux, vaches, grenouilles, homards et toujours beaucoup d’oiseaux. Elle

est la mer, la mauve, la bleue, la méchante, la douce, la déchaînée, la  pêche, les pêcheurs, les filets, les barques, les échelles, la boue, la mère mer. »

Comme l’a noté l’historienne de l’art Rose-Marie Arbour, les choix de Kittie  Bruneau témoignent « d’une conception et d’un sentiment de la nature qui  furent perçus par les critiques comme un moyen de s’approprier un passé  et un territoire, mais sans connotation passéiste ou folklorique » (Les arts  visuels au Québec dans les années soixante. VLB Éditeur 1993).

Sa peinture était l’expression brut de la liberté ce qui était totalement à  contre-courant du formalisme moderniste qui règne alors dans le monde  l’art et qui est incarné ici par Guido Molinari (1933-2004). Il faudra attendre, bien des années plus tard, un Jean-Michel Basquiat (1960-1988) ou le Street  Art pour retrouver cette manière narrative de peindre hors des conventions.

Ailleurs c’est aussi chez elle

Déjà en 1965, elle voyage en Haïti et s’intègre à la vie culturelle de Port-au Prince.

À la fin des années 1970, sa situation financière lui permet d’envisager de  nouveaux horizons. Ainsi en 1979, elle s’installe au Guatemala puis au  Pérou. En 1983, elle parcourt l’Europe. L’année suivante, elle se rend au  Japon pour y étudier la gravure sur bois. Toujours en 1984, on la retrouve  au Mexique où le travail de la céramique la fascine. De retour à Val-David  qui est son refuge hivernal, elle réalise des masques en céramique. Puis en  1985, elle part au Népal et en Inde. En 1986, elle peint sur des peaux  d’animaux avec ses nouveaux amis de la Première Nation des Stoney,  située au nord-ouest de Calgary où elle passe maintenant ses hivers. Puis  nouveau départ pour l’orient, destination la Chine et le Tibet. En 1990, c’est  le Maroc et l’année suivante, le Myanmar et la Thaïlande. Dans les années  1990, elle retournera en Inde à quelques reprises et, au début du millénaire,  elle effectuera une dizaine de longs séjours en Chine.

De ses nombreux voyages, Kittie Bruneau a rapporté des signes et des  couleurs, mais aussi des injustices qu’elle dénonce avec fougue dans ses  tableaux.

Mais, invariablement, chaque été, Kittie Bruneau revient à Percé  contempler l’île Bonaventure, l’île à elle, l’île coiffée d’ailes d’oiseaux.

À l’été 2019, le Musée Le Chaffaud de Percé soulignait le 90e anniversaire de Kittie Bruneau par une rétrospective et la projection d’un documentaire  indénit « Farouchement Kittie » du réalisateur Alain Goudreau. Cet  hommage avait été par la suite présenté à l’automne à Cookshire en Estrie  où Gilles Denis, un homme d’affaires très impliqué localement, a restauré  des bâtiments patrimoniaux pour y tenir des événements culturels.

– Texte d’Éric Devlin, propriétaire de la Galerie Éric Devlin