Décès de l’artiste-peintre Kittie Bruneau (1929 – 2021)
Kittie Bruneau (née en 1929), une artiste-peintre hors norme, nous a quitté le 6 avril dernier. Après des études à l’École des beaux-arts de Montréal (1946-1949), Kittie Bruneau passera huit années à Paris où elle se fera remarquer dans une chorégraphie de Maurice Béjart (1927-2007) sur une musique concrète, Symphonie pour un homme seul, composée par Pierre Henry (1927-2017).
Durant son séjour européen, elle découvre les artistes et écrivains du Groupe Cobra (COpenhague, BRuxelles, Amsterdam) dont Karel Appel (1921-2006), Corneille (1922-2010) et Asger Jorn (1914-1973). Ces artistes prennent pour modèle des formes d’art qui ne sont pas valorisées par l’élite dominante du moment. La peinture des membres de Cobra marquera définitivement l’œuvre de Kittie Bruneau.
Dès son retour au Québec en 1959, elle attire l’attention du célèbre critique Rodolphe de Repentigny (1926-1959) qui souligne sa participation au Concours artistique de la province du Québec avec deux tableaux « où des formes vaguement illustratives sont traitées avec emportement » (La Presse, 13 mars 1959). Quelques mois plus tard, il remarque son « style précis, plein d’éléments graphiques » lors de l’événement estival le Square des arts organisé au carré Dominion (La Presse, 4 juillet 1959).
À l’été 1961, elle s’installe sur l’île Bonaventure en face de Percé. À l’époque, environ 160 personnes vivent sur l’île avant qu’elle ne soit transformée en parc national et refuge faunique par le gouvernement du Québec au début des années 1970.
Ce nouvel environnement marque rapidement les tableaux de Kittie Bruneau qu’elle présente à Montréal dans les années 1960. Cette peinture colorée, joyeuse, parfois grotesque, mais faussement naïve et empreinte de poésie deviendra sa marque de commerce.
« Ma peinture se lit comme un journal », déclare-t-elle. En effet, ses tableaux se regroupent autour de quelques thèmes récurrents comme son île Bonaventure, la mer et les oiseaux, le couple, ses nombreux voyages, un bestiaire débridé. À l’occasion d’une exposition en 1981, Kittie Bruneau dira d’ailleurs : « La Gaspésie est bêtes, oiseaux, chats, rats, souris, chevaux, vaches, grenouilles, homards et toujours beaucoup d’oiseaux. Elle
est la mer, la mauve, la bleue, la méchante, la douce, la déchaînée, la pêche, les pêcheurs, les filets, les barques, les échelles, la boue, la mère mer. »
Comme l’a noté l’historienne de l’art Rose-Marie Arbour, les choix de Kittie Bruneau témoignent « d’une conception et d’un sentiment de la nature qui furent perçus par les critiques comme un moyen de s’approprier un passé et un territoire, mais sans connotation passéiste ou folklorique » (Les arts visuels au Québec dans les années soixante. VLB Éditeur 1993).
Sa peinture était l’expression brut de la liberté ce qui était totalement à contre-courant du formalisme moderniste qui règne alors dans le monde l’art et qui est incarné ici par Guido Molinari (1933-2004). Il faudra attendre, bien des années plus tard, un Jean-Michel Basquiat (1960-1988) ou le Street Art pour retrouver cette manière narrative de peindre hors des conventions.
Ailleurs c’est aussi chez elle
Déjà en 1965, elle voyage en Haïti et s’intègre à la vie culturelle de Port-au Prince.
À la fin des années 1970, sa situation financière lui permet d’envisager de nouveaux horizons. Ainsi en 1979, elle s’installe au Guatemala puis au Pérou. En 1983, elle parcourt l’Europe. L’année suivante, elle se rend au Japon pour y étudier la gravure sur bois. Toujours en 1984, on la retrouve au Mexique où le travail de la céramique la fascine. De retour à Val-David qui est son refuge hivernal, elle réalise des masques en céramique. Puis en 1985, elle part au Népal et en Inde. En 1986, elle peint sur des peaux d’animaux avec ses nouveaux amis de la Première Nation des Stoney, située au nord-ouest de Calgary où elle passe maintenant ses hivers. Puis nouveau départ pour l’orient, destination la Chine et le Tibet. En 1990, c’est le Maroc et l’année suivante, le Myanmar et la Thaïlande. Dans les années 1990, elle retournera en Inde à quelques reprises et, au début du millénaire, elle effectuera une dizaine de longs séjours en Chine.
De ses nombreux voyages, Kittie Bruneau a rapporté des signes et des couleurs, mais aussi des injustices qu’elle dénonce avec fougue dans ses tableaux.
Mais, invariablement, chaque été, Kittie Bruneau revient à Percé contempler l’île Bonaventure, l’île à elle, l’île coiffée d’ailes d’oiseaux.
À l’été 2019, le Musée Le Chaffaud de Percé soulignait le 90e anniversaire de Kittie Bruneau par une rétrospective et la projection d’un documentaire indénit « Farouchement Kittie » du réalisateur Alain Goudreau. Cet hommage avait été par la suite présenté à l’automne à Cookshire en Estrie où Gilles Denis, un homme d’affaires très impliqué localement, a restauré des bâtiments patrimoniaux pour y tenir des événements culturels.
– Texte d’Éric Devlin, propriétaire de la Galerie Éric Devlin