Vers la négociation de nos premières « ententes collectives » avec les diffuseurs

Pour le secteur québécois des arts visuels et pour l’ensemble des artistes représenté.e.s par le RAAV, l’adoption de la nouvelle loi sur le statut de l’artiste, longtemps désirée, longtemps attendue, constitue un véritable changement de paradigme.

Suite à l’adoption en juin 2022 de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’art et de la scène (LRQ, chapitre S-32.1), le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec (RAAV) peut en effet initier un nouveau  chapitre de son histoire.

Notre association a maintenant le pouvoir de négocier des ententes collectives avec les diffuseurs/producteurs de son secteur d’activité. Cette démarche s’inscrit dans le mandat de représentation du RAAV et vise l’amélioration des conditions d’exercice de la profession et de la rémunération offertes aux artistes en arts visuels du Québec. Reconnu en tant que seule association habilitée à représenter l’ensemble des artistes du domaine des arts visuels, le RAAV peut donc convier un diffuseur à une table de négociation en vertu de la nouvelle loi. Le diffuseur doit dès lors participer avec diligence et de bonne foi à la négociation d’une entente collective.

Oui mais ça change quoi ?

Alors que depuis toujours les artistes faisant affaire avec des institutions muséales, ou autres types de diffuseurs, se retrouvaient seul.e.s devant des gestionnaires pour négocier des conditions de diffusion pour leurs œuvres et la rémunération y afférente, la situation est maintenant transformée. En effet, l’association reconnue peut établir sous les pieds de l’artiste un “plancher” de conditions minimales de diffusion et de rémunération qu’il ou elle peut accepter telles quelles ou améliorer selon son gré. Quant au diffuseur, il ne pourra pas proposer moins que les minimums établis dans l’entente collective négociée avec l’association d’artistes.

Ce nouveau paradigme permet d’établir des normes minimales pour les contrats et des barèmes de base pour la rémunération des services professionnels et les redevances de droits d’auteur. Ces barèmes de rémunération et de redevances établis dans l’entente collective seront  modulés en fonction du budget du diffuseur. Autrement dit, le Musée des beaux-arts de Montréal devra payer plus cher pour une exposition qu’un centre d’artistes autogérés, ce qui va de soi.

Plus concrètement, lorsqu’un.e artiste recevra une proposition d’exposition, le diffuseur utilisera un formulaire de contrat convenu avec le RAAV. Pour ses honoraires professionnels, le diffuseur lui proposera les taux horaires négociés avec le RAAV dans le cadre de l’entente collective. L’artiste pourra négocier les taux à la hausse s’il /si elle juge que les taux sont insuffisants ou que certains aspects doivent être pris en considération. Cela peut donc faire l’objet d’une négociation entre l’artiste et le diffuseur mais ce dernier ne peut pas offrir moins que ce qui a été convenu dans l’entente collective.

Pour ce qui est des redevances de droits d’auteur, deux scénarios sont possibles :

Scénario un :  l’artiste a conservé la gestion de ses droits d’auteur.

L’artiste se verra offrir les redevances de base convenues entre le diffuseur et le RAAV pour les divers types de droits d’auteur (exposition, reproduction, communication, etc.). Ces redevances sont des montants minimum établis avec le diffuseur en fonction de son budget d’opération. L’artiste conserve son droit de négocier pour obtenir des montants plus élevés alors que le diffuseur ne peut pas lui offrir moins que ce qui a été convenu avec l’association dans le cadre de l’entente collective.

Scénario deux : l’artiste a confié la gestion de ses droits d’auteurs à une société de gestion, comme COVA-DAAV par exemple.

Le diffuseur doit alors communiquer avec COVA-DAAV pour négocier la  portion du contrat d’exposition qui concerne les droits d’auteur de l’artiste. La société de gestion peut à son tour émettre une licence et négocier des montants plus élevés que les minimum établis dans l’entente collective alors que le diffuseur, lui, ne peut pas offrir moins.(1)

Pourquoi le RAAV doit-il signer des ententes collectives avec les diffuseurs ?

L’objectif visé par votre association professionnelle est le même depuis sa création, soit l’amélioration des conditions d’exercice de la profession artistique en arts visuels au Québec. Cela se traduit par l’établissement de normes standardisées pour la diffusion des œuvres et le traitement des artistes, d’où la nécessité de convenir avec les diffuseurs de formulaires de contrat et de montants de base pour la rémunération de vos services professionnels et pour vos redevances de droit d’auteur.

Avant l’adoption de la nouvelle Loi, le RAAV ne pouvait que demander aux diffuseurs de respecter certaines normes et certaines redevances minimales. C’est ce qu’Il a fait depuis sa fondation en 1994 et les diffuseurs demeuraient libres de les respecter ou non. Diverses ententes ont été conclues par le passé sous les auspices du Ministère de la Culture et des Communications, mais elles demeuraient sujettes au bon vouloir des diffuseurs. Avec l’adoption de la Loi, tout est changé, car par le biais des ententes collectives, chaque diffuseur se verra obligé de respecter ce qui été négocié avec l’association. C’est pourquoi nous parlons d’un véritable changement de paradigme.

Le RAAV, le Musée des beaux-arts du Canada et les diffuseurs québécois.

Comme chacun le sait, une première entente collective a été signée en 2015 entre le RAAV, CARFAC et le Musée des beaux-arts du Canada. Cela fut ardu mais cela se fit tout de même dans le respect de chacun; mais il fallut tout de même que la Cour suprême du Canada contraigne le musée à s’asseoir pour négocier avec les associations d’artistes. Cette entente, qu’on appelle « accord-cadre » existe toujours et sera bientôt renouvelée pour la troisième fois.

Le problème que le RAAV et CARFAC rencontrent avec la loi fédérale sur le statut de l’artiste, c’est qu’elle ne permet la négociation collective qu’avec des institutions dépendant du gouvernement fédéral, comme le MBAC ou le Musée d’Histoire. Il leur est alors impossible de négocier réellement avec les musées de partout au Canada, seules des ententes de gré à gré, sans pouvoir contraignant, peuvent être signées. Mais ceci n’est heureusement plus le cas au Québec.

Au Québec, la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’art et de la scène (LRQ, chapitre S-32.1)  est claire et limpide quant au pouvoir de négocier imparti aux associations d’artistes et au devoir des diffuseurs/producteurs à cet égard. Cette clarté sera propice au déroulement de négociations franches et de bonne foi afin d’arriver à l’amélioration progressive des conditions socioéconomiques des artistes.

Une entente collective ça marche comment ?

Une entente collective est d’abord un ensemble de règles établies entre l’association d’artistes et le diffuseur. Ces règles constituent un contrat qui doit être respecté par les parties signataires, le RAAV et le diffuseur. L’entente sert à encadrer tous les contrats impliquant le diffuseur et tous les artistes qu’il engagera dans le cadre de ses activités de diffusion.

Si le diffuseur a le devoir de respecter les règles établies dans l’entente, l’association d’artiste a, elle, le devoir de surveiller l’application de l’entente. Cette surveillance s’exerce par l’analyse des contrats signés avec les artistes et la tenue de statistiques qui aideront à suivre l’évolution de la situation des artistes du domaine des arts visuels.

Il va sans dire que la surveillance d’une seule entente ne représente pas nécessairement une grande charge de travail. Mais comme le RAAV entend signer des ententes avec l’ensemble des diffuseurs québécois, cela pourra représenter des dizaines d’ententes qu’il faudra surveiller puis renégocier lorsqu’elles seront échues.

À cette tâche de surveillance et de tenue de statistiques pourrait s’ajouter des situations où le RAAV doit porter plainte et ramener un diffuseur dans le respect de l’entente négociée. Le devoir du RAAV sera alors de mener à bien des tractations avec le diffuseur pour convenir d’une façon de respecter l’entente.

Prélèvement associatif et caisse de retraite

Cette charge de travail doit être rémunérée car il faudra embaucher du personnel pour effectuer les tâches de surveillance et la tenue de statistiques. La meilleure façon de le faire est par la déduction d’un pourcentage des sommes remises à l’artiste pour ses honoraires et ses redevances.

Ce « prélèvement associatif », comme dans l’accord-cadre signé avec le Musée des beaux-arts du Canada, est de 5% pour les membres en règle de l’association et de 10% pour les non-membres. Si l’artiste non-membre désire devenir membre dans l’année qui suit la signature de son contrat, le RAAV lui remettra le 5% de prélèvement supplémentaire moins le montant de la cotisation annuelle.

De plus, comme pour l’ensemble des associations d’artistes au Québec, le RAAV entend également constituer un caisse de retraite pour les artistes qu’il représente. Cette caisse sera constituée essentiellement par la contribution du diffuseur qui ajoutera aux sommes versées un pourcentage du total de ces sommes. Cette contribution sera un point important des négociations à venir. Le montant de cette contribution sera remis au RAAV qui le versera dans un RÉER au nom de l’artiste. L’artiste sera invité.e à contribuer aussi à son RÉER sur une base volontaire.

Le diffuseur se chargera donc de retenir le prélèvement associatif, d’y ajouter sa contribution à la caisse de retraite pour ensuite remettre le tout au RAAV avec une copie des contrats. Le RAAV s’engage à respecter la confidentialité des informations contenues dans les contrats. Le RAAV aura besoin de ces informations pour effectuer sa surveillance de l’entente, faire le versement dans le RÉER créé au nom de l’artiste et tenir des statistiques. Ces statistiques serviront à suivre l’évolution de la situation générale des artistes représentés et de leurs relations avec les diffuseurs.

Ratification des ententes

Suite à la négociation d’un projet d’entente collective, l’étape finale consiste à faire ratifier l’entente par les artistes membres du RAAV d’une part, et d’autre part par le Conseil d’administration du diffuseur. Pour le RAAV, cette ratification pourra se faire par la tenue d’une assemblée spéciale des membres ou encore par une procédure de vote électronique, ou même par ces deux moyens. Cela s’est déjà produit à deux reprises pour la ratification de l’accord-cadre avec le MBAC, donc rien de nouveau. Cette procédure est importante pour, à la fois, informer les membres sur le contenu de l’entente collective et pour la faire valider démocratiquement par ceux et celles qui sont directement concerné.e.s par son application.

Modifications aux pratiques administratives des diffuseurs

Il est clair que ce changement de paradigme auquel nous faisons référence aura des incidences aussi sur les pratiques administratives des diffuseurs car ils devront s’habituer à se conformer aux ententes collectives négociées avec le RAAV. Cela nécessitera une période d’adaptation mais, tout comme cela s’est passé avec le Musée des beaux-arts du Canada, les nouvelles pratiques seront progressivement intégrées au fonctionnement normal des institutions muséales et des autres types de diffuseurs, qu’ils soient publics ou privés. En cas de problème dans l’application d’une entente, un mécanisme de consultation mutuelle est prévu à l’intérieur de l’entente.

Le RAAV se prépare depuis longtemps, le RAAV est prêt !

Déjà en 2005-06, des tentatives de négociations avaient été proposées par le RAAV à certains diffuseurs dans le cadre de l’ancienne loi. La réponse avait été une fin de non-recevoir car cette loi, en n’obligeant pas les diffuseurs à négocier, n’était pas adéquate. Par la suite les efforts du RAAV, en collaboration avec les autres associations d’artistes, ont visé à faire changer cette loi. De promesses en consultations, et de rapports en recommandations, ce n’est qu’en juin 2022, soit au bout de près de 20 ans d’efforts,  que la Loi que nous désirions fut enfin adoptée.

Tout récemment, le Conseil d’administration du RAAV a formé un Comité de travail pour développer les outils nécessaires et lancer une première négociation. Deux artistes membres du Conseil siègent sur ce comité, Mmes Lise Létourneau(2) et Lana Greben(3). Elles sont accompagnées par M. Pierre Tessier(4). Le CA du RAAV a également nommé Christian Bédard(5) à titre d’Agent négociateur pour le représenter face aux premiers diffuseurs avec qui le RAAV mènera des négociations.

EN CONCLUSION, l’adoption de la nouvelle loi aura une incidence majeure sur la plupart des artistes en arts visuels du Québec. Elle permettra d’augmenter progressivement leurs revenus lorsqu’ils.elles font affaire avec des diffuseurs/producteurs soutenus ou non par l’État québécois. L’établissement d’ententes collectives encadrera tous les contrats entre artistes et diffuseurs/producteurs ce qui aura pour effet général de standardiser et professionnaliser les pratiques de diffusion et de production dans le domaine des arts visuels.

Une loi comme celle qu’a adoptée le Québec ne vise pas à créer des tensions entre les acteurs d’un domaine artistique donné mais plutôt à réguler leurs rapports en les installant à l’intérieur d’un cadre légal. Cela fait en sorte que le RAAV entend mener ces futures négociations avec courtoisie, franchise et ouverture d’esprit.

David Farsi, Président

Christian Bédard, Agent négociateur pour le RAAV

COMMENTAIRES ET QUESTIONS ?

Prière d’adresser vos questions et commentaires par courriel au Comité de supervision des négociations à l’adresse suivante : communication@raav.org. Nous tenterons d’y répondre le plus rapidement possible.

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(1) L’artiste ou la société qui le.la représente peut demander le même montant, ou moins ou plus que ceux établis dans l’entente collective, car le Droit d’auteur est un droit exclusif que seul le détenteur peut négocier. Cependant, comme le diffuseur s’est engagé dans le cadre de l’entente collective à payer au moins les montants de base, il ne peut faire autrement que respecter l’entente. Si l’artiste veut absolument recevoir moins ou même rien du tout, il.elle le peut mais il.elle recevra quand même le paiement des redevances de base et il.elle pourra ensuite faire ce qu’il.elle en veut.

(2) Mme Lise Létourneau, artiste, est administratrice au Conseil du RAAV dont elle fut pendant plusieurs années Présidente. Mme Létourneau suit le dossier des diverses négociations collectives, ou tentatives d’icelles, effectuées par le RAAV depuis plusieurs années.

(3) Mme Lana Greben, artiste, administratrice au Conseil du RAAV, est diplômée en droit et détient une maitrise en muséologie et pratiques des arts. Elle possède une bonne expérience en gestion et administration des organismes artistiques et patrimoniaux.

(4) M. Pierre Tessier, artiste sculpteur, a été Président du RAAV pendant de nombreuses années. À ce titre il a accompagné la Direction-générale dans les divers dossiers entourant les efforts pour mettre en application la Loi S-32.01, puis pour la faire modifier. Il a été membre du Comité permanent sur les conditions socioéconomiques des artistes. Il a également participé à titre de co-négociateur en chef à la négociation de l’accord-cadre avec le Musée des beaux- arts du Canada (MBAC).

(5) Christian Bédard a été directeur général du RAAV de 2005 à 2016. À ce titre il a œuvré́ entre autres aux diverses démarches visant la modification de la Loi S-32.01 afin qu’y soit inclus un mécanisme de négociation collective. En collaboration avec des représentants de CARFAC, il a participé́ aux négociations avec le Musée des beaux-arts du Canada qui ont mené́ à la signature d’un premier accord-cadre en vertu de la loi fédérale sur le statut de l’artiste. De 2014 à 2016 il a mené́ diverses négociations avec le Regroupement des centres d’artistes autogérés du Québec (RCAAQ), la Société des musées du Québec (SMQ) et avec l’Association des galeries d’art contemporains (AGAC). De 2016 à 2019 il a assumé la coordination de la société de gestion de droits d’auteur Copyright Visual Arts / Droits d’auteur arts visuels (COVA-DAAV). Dans le cadre de cet emploi il a négocié et administré de nombreuses licences d’utilisation d’œuvres artistiques.